HOMMAGE
« A mon Père …»
Pour que nous               n’oubliions pas …
Cette photo date d'octobre/novembre 1939 et a été prise à Stelen. 2ème Chasseur à Pied IIIème Bataillon 11ème Cie Une partie de mon groupe (peloton du Sous Lt Cuvelier Adj Géradon, Sgt Maillard) Debout (de g à dr) Vandamme (cl.35) Caporal X, Catrain, Prévot, Caporal Overstijns, Kinet (tué le 28/5/40), Sgt Maillard (tous de la cl. 38), Charlet (cl.35) Je n'ai pas de souvenir des noms des 2 soldats accroupis.
La nuit du 17 au 18 mai se passa sans incident. Au petit matin, après avoir pris un peu de repos, nous reprîmes notre marche entrecoupée de haltes. Nous étions déployés en file indienne de part et d’autre des routes que nous empruntions. Après 3 ou 4 heures de marche, nous étions fatigués et non ravitaillés, notre retraite était de plus en plus pénible. Il y avait déjà un ou deux soldats du groupe qui manquaient à l’appel. La colonne éprouvait toujours plus de difficultés à se remettre en route après chaque halte malgré que nous craignions tous d’être rattrapés par l’ennemi ! Vers midi, nous arrivâmes en vue d’ Alost . Nous apercevions des fumées épaisses au loin. Pour atteindre Alost, nous devions emprunter une route à découvert, direction Nord-Ouest. C’est que nous essuyâmes quelques coups de fusils tirés certainement par des tireurs isolés. Il ne fallait que cela pour semer le désordre dans la colonne. Ce fut une partie de chacun pour soi indescriptible. Nous arrivâmes malgré tout à hauteur d’Alost. Tous les bâtiments, toutes les maisons étaient en feu au bord de la Dendre. Nous devions la traverser en empruntant un pont heureusement intact. Après le pont, nous entrâmes directement dans la ville désertée de ses habitants qui s’étaient soit réfugiés dans leurs caves ou qui avaient évacué. Nous y avons de nouveau essuyé quelques coups de feu qui venaient d’on ne sait où. Nous ne savions pas nous devions nous placer pour nous protéger. Nous sommes restés un certain temps en attente à la sortie d’Alost en dehors de la grand-route. A la nuit tombée, nous avons logé dans des granges, sur de la paille. Nous avions faim. Le ravitaillement ne suivait guère… Dans la journée du 19 mai, il fallut de nouveau se remettre en route pour une nouvelle étape. Dans la soirée, nous arrivâmes dans un village du nom de Semmerzake . Nous n’avions aucune notion de la situation de ce patelin. C’est quelques jours plus tard que nous apprîmes que nous nous trouvions à environ 1km à l’Est de l’Escaut. Nous devions occuper un fortin en béton en avant de la 3ème ligne de défense que constituait l’Escaut. Il y avait bien quelques maisons à 50 mètres du bunker, mais plusieurs étaient vides de leurs habitants. Sinon, nous n’avions rien. Nous avions abandonné nos bagages personnels dans une étable dans le village. Nous sommes restés, isolés, pendant cinq jours dans ce fortin. Le lieutenant passait une fois par jour pour nous encourager. Une corvée allait chercher la
nourriture au PC de la Compagnie qui se trouvait à 150 m de l’endroit que nous occupions. Parlons de et endroit duquel nous surveillions une route personne ne passait, endroit au bord de cette route bordée d’un côté d’un bois, de l’autre d’une prairie en monticule. Nous aurions pu être attaqués de tous côtés avant d’avoir espéré faire un geste de défense !! Nous étions donc coupés de tout, sans aucune nouvelle, sauf les bobards que les hommes de corvée avaient appris lors de leurs missions. C’est bizarre, mais vivre ainsi, en dehors de tout, nous avait fait perdre la notion du temps qui passe Nous étions encore dix, nous avions perdu trois unités depuis le début de la guerre, surtout entre Vilvorde et Alost. Le 24 mai au matin, vers 8 heures, nous recevions l’ordre de nous apprêter pour une nouvelle étape. Nous marchâmes jusqu’au PC de la Compagnie et après rassemblement, nous reprîmes notre marche. Toujours le même scénario : en file indienne de part et d’autre de la chaussée. Nous longions l’Escaut. Au premier pont rencontré, on nous fit traverser le cours d’eau, direction l’ouest. En ce qui me concrne ( je ne vous ai pas encore parlé beaucoup de moi ), j’étais très mal en point car je souffrais de dysenterie. A tout moment, je devais m’arrêter, j’étais malade, je me traînais. A bout de force, je fus obligé d’abandonner mon groupe. Je fus recueilli par une unité de ravitaillement. Je montai dans un camion et fourbu je m’endormis. Lorsque je me réveillai, j’étais dans une grande salle. On me dit que j’avais dormi une journée entière ! On me soigna et je mangeai. J’étais au milieu de soldats que je ne connaissais pas, mais francophones en majorité. J’essayai de questionner pour me renseigner sur l’endroit je me trouvais. Les réponses que j’obtins étaient méfiantes, évasives. Me prenait-on pour un espion ? Une chose était certaine, là-bas, on ne manquait de rien. On ne mangeait pas mal et on pouvait se reposer calmement. J’avais fait part de mon intention de rejoindre mon unité. On me le déconseilla en me disant d’attendre encore un jour que je sois bien guéri. Le lendemain, c’était un dimanche, vers 8 ou 9 heures du matin, nous fûmes arrosés de bombes incendiaires. Aucune de celles-ci n’atteint la salle j’étais. Heureusement, mais nous nous demandions si cela n’allait pas recommencer...
Je dirai «ma campagne des 18 jours» parce qu’elle est spéciale. Ce matin du 10 mai égrena ses heures sous un soleil bienfaisant. Nous attendions les instructions. Elles arrivèrent au début de l’après-midi : nous devions rejoindre la route qui menait à Ninove et nous placer de part et d’autre de la chaussée le plus possible à l’abri des regards. C’est que nous eûmes la surprise de voir passer devant nous quelques véhicules. C’étaient des voitures tout terrain à déplacement rapide, chargées de soldats britanniques. Ce seront d’ailleurs les seuls que nous verrons durant les 18 jours. Nous attendions camouflés au bord de la chaussée. Nous vîmes apparaître au loin des autobus (tous les mêmes, il s’agissait d’autobus de la région bruxelloise surmontés de pancartes publicitaires). On nous fit embarquer dans ces véhicules et nous voilà partis pour une destination inconnue. La colonne roulait prudemment et lentement. Bientôt, la nuit tomba. Nous n’avions aucune idée de l’endroit on nous emmenait ni des évènements qui se passaient sur la première ligne de défense. Notre périple prit fin pendant la nuit. On nous débarqua à Wespelaar . Nous étions à l’orée d’un bois avec devant nous des pâturages. Ce n’est que le matin que nous aperçûmes au loin les premières habitations : elles étaient au moins à 300 mètres. Le lieutenant qui nous avait désigné l’emplacement que nous devions occuper, nous avait donné les objectifs à particulièrement surveiller. Ensuite, nous avions construit un abri avec des branchages. Pend ant les trois premiers jours, il ne se passa rien. Mais, de temps en temps, on entendait au loin gronder le canon. Sinon, aucune nouvelle ne filtrait sur la situation des belligérants. Un beau matin, nous reçûmes la visite d'un aumônier. Il était accompagné par l'ordonnance du lieutenant. Il bénit le groupe et donna la communion à ceux qui le désiraient. La nuit tomba. L'artillerie se mit à tirer. Cela n'arrêta pas durant toute la nuit. On entendait les feuilles trembler au-dessus de nos têtes à chaque passage d'obus. Cela ne cessa qu'à l'aube. Pendant la nuit, j’avais été envoyé en patrouille avec deux hommes pour inspecter ce qui se passait devant nous. On nous avait donné un mot de passe. Nous avions marché trois cents mètres lorsque nous rencontrâmes un militaire. Il ne connaissait pas le mot de passe ! On ne le lui avait pas donné ! Il nous renseigna sur le chemin à suivre pour nous rendre aux barrières de protection qui avaient été construites pendant la mobilisation.
Nous avons marché un bon bout de temps en inspectant à gauche, à droite dans le noir. Nous n'avions rien remarqué d'anormal. Je décidai donc de rebrousser chemin et de rejoindre notre poste de défense. Je pus enfin dormir un peu. La journée suivante se passa calmement. De temps en temps, on entendait des rafales d'armes automatiques, des tirs d'artillerie et le passage d'avions haut dans le ciel. Au crépuscule, les tirs d'artillerie reprirent comme la nuit précédente. Mais au milieu de la nuit, je fus réveillé par le lieutenant qui m'avertit que nous devions décrocher et aller rejoindre une grand route pas très éloignée. Nous abandonnâmes de suite notre position et nous rendîmes au lieu indiqué. Nous étions à peu près les derniers à rallier le lieu de rassemblement. La colonne regroupée, nous partîmes immédiatement partagés en deux files de part et d’autre de la chaussée. On avait beau questionner les supérieurs, c’était au compte-goutte qu’on nous répondait. Nous battions en retraite, évidemment. La troupe sans bruit marchait, marchait. Le commandant et les lieutenants portaient leurs hommes et nous incitaient à nous dépêcher. Nous arrivâmes à hauteur de Vilvorde, au canal de Willebroek . Quelques gendarmes nous firent courir pour traverser le canal. On nous disait que d’ici quelques minutes, le pont sauterait. Quelle débandade ! C’était inimaginable. Je vois encore la cuisine et le matériel tirés par des chevaux au milieu du pont. Pauvres bêtes ! Elles se demandaient certainement ce qu’on leur voulait, pourquoi on les obligeait à courir pour franchir ce pont. Après cette péripétie, nous reprîmes notre marche pendant quelques kilomètres en direction d’Alost. A un moment donné, on arrêta la colonne. C’est que je me rendis compte que c’était la débâcle ! Des unités entières passaient à côté de nous, fuyant vers l’ouest, encore plus en désordre que nous ne l’étions. Nous commencions à être très démoralisés… Après cette halte de deux heures au moins, nous nous étions un peu reposés. La colonne se remit en route vers l’ouest. On marchait quelques centaines de mètres, on s’arrêtait et on se couchait nous ne pouvions pas être vus. Après quelques instants, on se remettait en route. C’est vers six heures du soir que l’on s’arrêta pour de bon. Nous apprîmes qu’un bataillon avait été désigné pour rester en arrière-garde afin de protéger notre retraite.
Je reprenais peu à peu des forces. Il faisait toujours aussi beau, et le 27 mai au matin, je décidai de tenter de rejoindre mon unité. Je suis donc reparti avec armes et bagages pour l’aventure. Je me dirigeai vers l’Est on entendait des coups de feu. Je n’ai plus aucune idée des kilomètres que j’ai pu marcher. En cours de route, je rencontrai des militaires isolés qui, comme moi, essayaient de rejoindre leur unité. Je les questionnai pour savoir s’ils ne pouvaient pas me renseigner, mais peine perdue. Je vis en chemin des détachements d’artillerie avec quelques pièces mises en batterie avec des tas d’obus à proximité. On m’y apprit que des Chasseurs à Pied se trouvaient à quelques kilomètres en avant, tout cela sans trop de précision. Je continuai donc toujours en avant, avec l’espoir de rencontrer des militaires de ma division. Je marchai au moins jusqu’à midi quand je fus renseigné sur l’endroit se trouvait le 2ème Chasseur à Pied. Je me dirigeai vers l’endroit qu’on m’avait désigné et à un moment donné, on me montra je devais me rendre exactement pour rejoindre ma Cie. Vers deux heures, j’étais au PC. J’appris ainsi que j’étais arrivé à Nevele . Le Commandant, les lieutenants et le personnel administratif de la Cie se trouvaient . Je fus reçu comme un faux frère qui avait abandonné ses amis. Mieux, si je n’étais pas rentré, j’aurais été renseigné comme déserteur. J’avais beau expliquer mon cas, rien n’y fit ! On me donna l’ordre de suivre l’ordonnance du lieutenant qui allait se charger de me mettre sur la route pour rejoindre mon groupe. Je suivis les instructions reçues et une dizaine de minutes plus tard, j’avais réintégré mon peloton qui avait pris position dans un champ, pas trop mal protégé, ce qui permettait de voir ce qui se passait à l’avant. De temps à autre, des shrapnels explosaient au- dessus de nos têtes, entraînant la dispersion de fumée noire suivie d’une pluie de cendres qui s’abattait heureusement sans dommage sur nous et aux alentours. Cela dégageait une odeur désagréable. Nous nous demandions ce qui allait finir par nous tomber sur la tête et pourtant, autour de nous, rien ne bougeait. On ne voyait rien ! Vers 16h30, sur notre droite, des coups de feu retentirent, puis au loin des cris sauvages comme si on se battait puis on implorait la pitié. C’est à ce moment-là que l’ordonnance du lieutenant nous intima de rentrer d’urgence au PC de la Cie. On prenait les précautions nécessaires.
Lorsque nous y arrivâmes, les cuisines et les charrettes du convoi étaient déjà parties. La Cie se mit en route comme toujours en file indienne sur les 2 côtés de la route. Cela n’allait pas très vite. En chemin, nous apprîmes que la 10ème Cie qui était sur notre droite s’était rendue et était faite prisonnière. On marchait, marchait à cadence moyenne, avec des arrêts fréquents dus probablement à ce qui se trouvait devant nous. A la nuit tombante, nous fûmes continuellement harcelés par des tirs d'artillerie qui heureusement ne nous atteignaient pas. Notre marche devenait de plus en plus lente, nous nous arrêtions de plus en plus fréquemment. Les soldats échangeaient des paroles qui devenaient de plus en plus pessimistes, se demandant on nous emmenait. Nos chefs, Commandant de Cie en tête, n’étaient pas très loin de nous, et comme nous, ils étaient dans l’enfer. Lorsqu’on faisait quelques pas dans le noir, si on entendait le bruit des obus approcher, vite on se couchait visage contre terre sur les bas côtés du chemin. On aurait dit que les tirs d’artillerie étaient de plus en plus nombreux au fur et à mesure que l’on avançait. Certains obus éclataient pas bien loin et on entendait les débris retomber sur nous, certains soldats se plaignaient d’avoir été touchés. On n’avançait que très lentement et nous nous arrêtions souvent : cela permettait à certains de sommeiller un peu. Dans la nuit noire, des consignes avaient été données de ne pas allumer d’allumettes et de parler le plus bas possible pour ne pas nous faire repérer. Au loin, nous entendions une cloche sonner les douze coups de minuit. Nous n’avions aucune idée de l’endroit où nous nous trouvions. Combien de temps se passa ainsi ? Je ne peux le dire. Mais heureusement, les tirs d’obus devinrent moins nombreux. On put avancer plus sûrement, mais la troupe était fatiguée après une telle nuit. Après un temps plus moins long, on nous fit arrêter. L’artillerie ne tirait plus que très sporadiquement. Le lieutenant vint nous rassembler et nous emmena dans un pâturage au bord d’une route. Il nous donna des emplacements à occuper, à aménager et avec un objectif bien déterminé à surveiller. Je fis le tour du groupe : il y avait encore une unité en moins. Le lieutenant retourna au PC. Parmi nous, exténués, plusieurs soldats dormaient pendant que les autres commençaient à faire des trous avec les pelles d’infanterie dont on disposait.
Le jour commençait à se lever. Nous vîmes alors le lieutenant se diriger vers nous pour nous annoncer que six corps gisaient inanimés au beau milieu de la route. Il croyait bien que parmi eux, il y avait son ordonnance. Nous allâmes sur place. Le spectacle était abominable. Les six corps étaient étendus au milieu du chemin, les vêtements déchirés, mutilés dans leur chair, une chose inoubliable !! Tous les six avaient été tués sur le coup. Un obus s’était écrasé au milieu de la chaussée en pavés. Les malheureux avaient eu la malchance de passer par au moment précis de la chute du projectile. Et dire que c’était certainement un des derniers obus qui fut tiré ce 28 mai 1940 ! Nous apprîmes que nous nous trouvions à Ruiselede . Des tranchées avaient été creusées au bord de la route. Nous enveloppâmes les corps séparément dans une couverture et nous les enterrâmes. Nous plaçâmes à chacun un croix fabriquée avec des planches et y écrivîmes les noms de nos six malheureux compagnons. Nous étions huit pour faire cette macabre besogne. Il nous fallut presque deux heures pour avoir terminé. Le lieutenant nous pressait parce que nous devions rejoindre ce qui restait de la Cie et pourtant on avait les bras et les jambes coupés après ce travail si pénible. Comme en 1914, le 2ème Chasseur à Pied avait encore payé un lourd tribu à la guerre. Nous apprîmes alors que l’armée belge avait capitulé à 4 heures du matin et que les armes s’étaient tues sur tout le territoire et tout cela sans conditions. Plusieurs Compagnies avaient été faites prisonnières entre Vilvorde et Alost. Nous appréhendions ce qui allait se passer pour nous. Nous avions repris notre marche à l’aventure en commentant la fin possible des six braves que nous avions enterrés et en essayant, lorsque nous pouvions, d’approcher de nos chefs, de savoir l’on nous conduisait. Hélas, leurs réponses étaient toujours aussi évasives. Nous avions marché au moins deux heures quand on nous fit arrêter un long moment. Nous commencions à avoir faim et les vivres que nous pouvions encore avoir en réserve diminuaient. A un moment, on nous apprit que nous allions nous mettre en route et que nous allions défiler devant les soldats allemands et que nous devrions faire ce qu’ils nous demanderaient. Effectivement, nous avions marché deux à trois cents mètres lorsque nous rencontrâmes une colonne motorisée allemande (quelques motos mais surtout des side-cars). Les soldats nous enjoignirent de nous défaire de nos fusils, de nos cartouches et de les jeter sur un tas au bord de la route.
Nous commençâmes alors à défiler, pas fiers du tout, à la file indienne devant eux. Nous étions examinés chacun des pieds jusqu’à la tête pour qu’ils puissent se rendre compte si nous étions réellement inoffensifs. Lorsque nous fûmes entièrement désarmés et que nous allions de l’avant, je crus entendre des applaudissements dans les rangs ennemis. Ces soldats savouraient probablement leur joie et leur supériorité. Nous nous dirigions la tête basse vers une agglomération nous nous arrêtâmes. Nous apprîmes que nous étions à Aalter . Les instructions étaient d’occuper les locaux vides. On nous amena de la paille et nous pûmes nous reposer. Nous ne pouvions en aucun cas nous éloigner de ce cantonnement nous passâmes la nuit. Nous y sommes restés 5 ou 6 jours. Nous étions tranquilles. Le ravitaillement suivait vaille que vaille. Les allemands ne nous importunaient pas. On ne les voyait d’ailleurs pas. Le 3 ou le 4 juin, je ne me souviens plus, nous quittions Aalter pour prendre la direction de Gand. Des sentinelles allemandes étaient placées au bord de la route tous les 100 mètres. En chemin, nous passâmes devant des casernes, des écoles, …remplies de prisonniers belges. Mais en réfléchissant à la route que nous empruntions, nous avions l’impression qu’on nous emmenait en Allemagne ! Enfin, dans les environs de Wetteren , on nous fit arrêter. Nous occupions des étables, nous restâmes là- bas. Nous ne pouvions pas quitter les environs. Le 7 juin, on nous annonça que nous allions retourner à Charleroi. On fera le trajet en 4 étapes. Le 9 juin, nous étions à Enghien lorsque le lieutenant nous délivra nos papiers (laissez-passer rédigé en Allemand émanant de la Kommandantur de Wetteren nous enjoignant de retourner à notre domicile et de retrouver un travail le plus tôt possible). A Enghien, nous avons pris un train jusqu’à Bruxelles. Là, nous avons sauté dans un camion qui allait charger du charbon en région liégeoise et, arrivés à hauteur de Waremme , nous avons abandonné, en remerciant le chauffeur, ce camion. Nous nous sommes dirigés vers Momalle avec l’espoir d’y prendre un tram vers Statte . Nous y avons rencontré un ancien du 2ème Chasseur passé pendant la mobilisation au 5ème Chasseur à Pied. Il était rentré chez lui depuis plusieurs jours comme d’autres (de Chapon Seraing) d’ailleurs. Il me rassura, aussi, en me disant qu’à Antheit, mon village, il n’y avait pas beaucoup de dégâts. Le tram arriva enfin ! Que ce trajet me sembla long ! Je descendis enfin à Petite Wanze (hameau d’Antheit) Un voisin qui se trouvait sur le tram prévint mes parents que j’allais rentrer. Ce fut la joie des retrouvailles, eux qui n’avaient plus eu aucune nouvelle de moi ! Nous étions le 10 juin 1940 vers six heures du soir. Alors, commença pour nous, la vie sous l’occupation.
Ma campagne des 18 jours
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CHEZ JEAN-LUC
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« A mon Père …»
Pour que nous               n’oubliions pas … HOMMAGE
La nuit du 17 au 18 mai se passa sans incident. Au petit matin, après avoir pris un peu de repos, nous reprîmes notre marche entrecoupée de haltes. Nous étions déployés en file indienne de part et d’autre des routes que nous empruntions. Après 3 ou 4 heures de marche, nous étions fatigués et non ravitaillés, notre retraite était de plus en plus pénible. Il y avait déjà un ou deux soldats du groupe qui manquaient à l’appel. La colonne éprouvait toujours plus de difficultés à se remettre en route après chaque halte malgré que nous craignions tous d’être rattrapés par l’ennemi ! Vers midi, nous arrivâmes en vue d’ Alost . Nous apercevions des fumées épaisses au loin. Pour atteindre Alost, nous devions emprunter une route à découvert, direction Nord-Ouest. C’est que nous essuyâmes quelques coups de fusils tirés certainement par des tireurs isolés. Il ne fallait que cela pour semer le désordre dans la colonne. Ce fut une partie de chacun pour soi indescriptible. Nous arrivâmes malgré tout à hauteur d’Alost. Tous les bâtiments, toutes les maisons étaient en feu au bord de la Dendre. Nous devions la traverser en empruntant un pont heureusement intact. Après le pont, nous entrâmes directement dans la ville désertée de ses habitants qui s’étaient soit réfugiés dans leurs caves ou qui avaient évacué. Nous y avons de nouveau essuyé quelques coups de feu qui venaient d’on ne sait où. Nous ne savions pas nous devions nous placer pour nous protéger. Nous sommes restés un certain temps en attente à la sortie d’Alost en dehors de la grand- route. A la nuit tombée, nous avons logé dans des granges, sur de la paille. Nous avions faim. Le ravitaillement ne suivait guère… Dans la journée du 19 mai, il fallut de nouveau se remettre en route pour une nouvelle étape. Dans la soirée, nous arrivâmes dans un village du nom de Semmerzake . Nous n’avions aucune notion de la situation de ce patelin. C’est quelques jours plus tard que nous apprîmes que nous nous trouvions à environ 1km à l’Est de l’Escaut. Nous devions occuper un fortin en béton en avant de la 3ème ligne de défense que constituait l’Escaut. Il y avait bien quelques maisons à 50 mètres du bunker, mais plusieurs étaient vides de leurs habitants. Sinon, nous n’avions rien. Nous avions abandonné nos bagages personnels dans une étable dans le village. Nous sommes restés, isolés, pendant cinq jours dans ce fortin. Le lieutenant passait une fois par jour pour nous encourager. Une corvée allait chercher la nourriture au PC de la Compagnie qui se trouvait à 150 m de l’endroit que nous occupions. Parlons de et endroit duquel nous surveillions une route personne ne passait, endroit au bord de cette route bordée d’un côté d’un bois, de l’autre d’une prairie en monticule. Nous aurions pu être attaqués de tous côtés avant d’avoir espéré faire un geste de défense !! Nous étions donc coupés de tout, sans aucune nouvelle, sauf les bobards que les hommes de corvée avaient appris lors de leurs missions. C’est bizarre, mais vivre ainsi, en dehors de tout, nous avait fait perdre la notion du temps qui passe Nous étions encore dix, nous avions perdu trois unités depuis le début de la guerre, surtout entre Vilvorde et Alost. Le 24 mai au matin, vers 8 heures, nous recevions l’ordre de nous apprêter pour une nouvelle étape. Nous marchâmes jusqu’au PC de la Compagnie et après rassemblement, nous reprîmes notre marche. Toujours le même scénario : en file indienne de part et d’autre de la chaussée. Nous longions l’Escaut. Au premier pont rencontré, on nous fit traverser le cours d’eau, direction l’ouest. En ce qui me concerne ( je ne vous ai pas encore parlé beaucoup de moi ), j’étais très mal en point car je souffrais de dysenterie. A tout moment, je devais m’arrêter, j’étais malade, je me traînais. A bout de force, je fus obligé d’abandonner mon groupe. Je fus recueilli par une unité de ravitaillement. Je montai dans un camion et fourbu je m’endormis. Lorsque je me réveillai, j’étais dans une grande salle. On me dit que j’avais dormi une journée entière ! On me soigna et je mangeai. J’étais au milieu de soldats que je ne connaissais pas, mais francophones en majorité. J’essayai de questionner pour me renseigner sur l’endroit je me trouvais. Les réponses que j’obtins étaient méfiantes, évasives. Me prenait-on pour un espion ? Une chose était certaine, là-bas, on ne manquait de rien. On ne mangeait pas mal et on pouvait se reposer calmement. J’avais fait part de mon intention de rejoindre mon unité. On me le déconseilla en me disant d’attendre encore un jour que je sois bien guéri. Le lendemain, c’était un dimanche, vers 8 ou 9 heures du matin, nous fûmes arrosés de bombes incendiaires. Aucune de celles-ci n’atteint la salle j’étais. Heureusement, mais nous nous demandions si cela n’allait pas recommencer...
Je dirai «ma campagne des 18 jours» parce qu’elle est spéciale. Ce matin du 10 mai égrena ses heures sous un soleil bienfaisant. Nous attendions les instructions. Elles arrivèrent au début de l’après-midi : nous devions rejoindre la route qui menait à Ninove et nous placer de part et d’autre de la chaussée le plus possible à l’abri des regards. C’est que nous eûmes la surprise de voir passer devant nous quelques véhicules. C’étaient des voitures tout terrain à déplacement rapide, chargées de soldats britanniques. Ce seront d’ailleurs les seuls que nous verrons durant les 18 jours. Nous attendions camouflés au bord de la chaussée. Nous vîmes apparaître au loin des autobus (tous les mêmes, il s’agissait d’autobus de la région bruxelloise surmontés de pancartes publicitaires). On nous fit embarquer dans ces véhicules et nous voilà partis pour une destination inconnue. La colonne roulait prudemment et lentement. Bientôt, la nuit tomba. Nous n’avions aucune idée de l’endroit on nous emmenait ni des évènements qui se passaient sur la première ligne de défense. Notre périple prit fin pendant la nuit. On nous débarqua à Wespelaar . Nous étions à l’orée d’un bois avec devant nous des pâturages. Ce n’est que le matin que nous aperçûmes au loin les premières habitations : elles étaient au moins à 300 mètres. Le lieutenant qui nous avait désigné l’emplacement que nous devions occuper, nous avait donné les objectifs à particulièrement surveiller. Ensuite, nous avions construit un abri avec des branchages. Pend ant les trois premiers jours, il ne se passa rien. Mais, de temps en temps, on entendait au loin gronder le canon. Sinon, aucune nouvelle ne filtrait sur la situation des belligérants. Un beau matin, nous reçûmes la visite d'un aumônier. Il était accompagné par l'ordonnance du lieutenant. Il bénit le groupe et donna la communion à ceux qui le désiraient. La nuit tomba. L'artillerie se mit à tirer. Cela n'arrêta pas durant toute la nuit. On entendait les feuilles trembler au-dessus de nos têtes à chaque passage d'obus. Cela ne cessa qu'à l'aube. Pendant la nuit, j’avais été envoyé en patrouille avec deux hommes pour inspecter ce qui se passait devant nous. On nous avait donné un mot de passe. Nous avions marché trois cents mètres lorsque nous rencontrâmes un militaire. Il ne connaissait pas le mot de passe ! On ne le lui avait pas donné ! Il nous renseigna sur le chemin à suivre pour nous rendre aux barrières de protection qui avaient été construites pendant la mobilisation. Nous avons marché un bon bout de temps en inspectant à gauche, à droite dans le noir. Nous n'avions rien remarqué d'anormal. Je décidai donc de rebrousser chemin et de rejoindre notre poste de défense. Je pus enfin dormir un peu. La journée suivante se passa calmement. De temps en temps, on entendait des rafales d'armes automatiques, des tirs d'artillerie et le passage d'avions haut dans le ciel. Au crépuscule, les tirs d'artillerie reprirent comme la nuit précédente. Mais au milieu de la nuit, je fus réveillé par le lieutenant qui m'avertit que nous devions décrocher et aller rejoindre une grand route pas très éloignée. Nous abandonnâmes de suite notre position et nous rendîmes au lieu indiqué. Nous étions à peu près les derniers à rallier le lieu de rassemblement. La colonne regroupée, nous partîmes immédiatement partagés en deux files de part et d’autre de la chaussée. On avait beau questionner les supérieurs, c’était au compte-goutte qu’on nous répondait. Nous battions en retraite, évidemment. La troupe sans bruit marchait, marchait. Le commandant et les lieutenants portaient leurs hommes et nous incitaient à nous dépêcher. Nous arrivâmes à hauteur de Vilvorde, au canal de Willebroek . Quelques gendarmes nous firent courir pour traverser le canal. On nous disait que d’ici quelques minutes, le pont sauterait. Quelle débandade ! C’était inimaginable. Je vois encore la cuisine et le matériel tirés par des chevaux au milieu du pont. Pauvres bêtes ! Elles se demandaient certainement ce qu’on leur voulait, pourquoi on les obligeait à courir pour franchir ce pont. Après cette péripétie, nous reprîmes notre marche pendant quelques kilomètres en direction d’Alost. A un moment donné, on arrêta la colonne. C’est que je me rendis compte que c’était la débâcle ! Des unités entières passaient à côté de nous, fuyant vers l’ouest, encore plus en désordre que nous ne l’étions. Nous commencions à être très démoralisés… Après cette halte de deux heures au moins, nous nous étions un peu reposés. La colonne se remit en route vers l’ouest. On marchait quelques centaines de mètres, on s’arrêtait et on se couchait nous ne pouvions pas être vus. Après quelques instants, on se remettait en route. C’est vers six heures du soir que l’on s’arrêta pour de bon. Nous apprîmes qu’un bataillon avait été désigné pour rester en arrière-garde afin de protéger notre retraite.
Je reprenais peu à peu des forces. Il faisait toujours aussi beau, et le 27 mai au matin, je décidai de tenter de rejoindre mon unité. Je suis donc reparti avec armes et bagages pour l’aventure. Je me dirigeai vers l’Est on entendait des coups de feu. Je n’ai plus aucune idée des kilomètres que j’ai pu marcher. En cours de route, je rencontrai des militaires isolés qui, comme moi, essayaient de rejoindre leur unité. Je les questionnai pour savoir s’ils ne pouvaient pas me renseigner, mais peine perdue. Je vis en chemin des détachements d’artillerie avec quelques pièces mises en batterie avec des tas d’obus à proximité. On m’y apprit que des Chasseurs à Pied se trouvaient à quelques kilomètres en avant, tout cela sans trop de précision. Je continuai donc toujours en avant, avec l’espoir de rencontrer des militaires de ma division. Je marchai au moins jusqu’à midi quand je fus renseigné sur l’endroit se trouvait le 2ème Chasseur à Pied. Je me dirigeai vers l’endroit qu’on m’avait désigné et à un moment donné, on me montra je devais me rendre exactement pour rejoindre ma Cie. Vers deux heures, j’étais au PC. J’appris ainsi que j’étais arrivé à Nevele . Le Commandant, les lieutenants et le personnel administratif de la Cie se trouvaient . Je fus reçu comme un faux frère qui avait abandonné ses amis. Mieux, si je n’étais pas rentré, j’aurais été renseigné comme déserteur. J’avais beau expliquer mon cas, rien n’y fit ! On me donna l’ordre de suivre l’ordonnance du lieutenant qui allait se charger de me mettre sur la route pour rejoindre mon groupe. Je suivis les instructions reçues et une dizaine de minutes plus tard, j’avais réintégré mon peloton qui avait pris position dans un champ, pas trop mal protégé, ce qui permettait de voir ce qui se passait à l’avant. De temps à autre, des shrapnels explosaient au- dessus de nos têtes, entraînant la dispersion de fumée noire suivie d’une pluie de cendres qui s’abattait heureusement sans dommage sur nous et aux alentours. Cela dégageait une odeur désagréable. Nous nous demandions ce qui allait finir par nous tomber sur la tête et pourtant, autour de nous, rien ne bougeait. On ne voyait rien ! Vers 16h30, sur notre droite, des coups de feu retentirent, puis au loin des cris sauvages comme si on se battait puis on implorait la pitié. C’est à ce moment-là que l’ordonnance du lieutenant nous intima de rentrer d’urgence au PC de la Cie. On prenait les précautions nécessaires. Lorsque nous y arrivâmes, les cuisines et les charrettes du convoi étaient déjà parties. La Cie se mit en route comme toujours en file indienne sur les 2 côtés de la route. Cela n’allait pas très vite. En chemin, nous apprîmes que la 10ème Cie qui était sur notre droite s’était rendue et était faite prisonnière. On marchait, marchait à cadence moyenne, avec des arrêts fréquents dus probablement à ce qui se trouvait devant nous. A la nuit tombante, nous fûmes continuellement harcelés par des tirs d'artillerie qui heureusement ne nous atteignaient pas. Notre marche devenait de plus en plus lente, nous nous arrêtions de plus en plus fréquemment. Les soldats échangeaient des paroles qui devenaient de plus en plus pessimistes, se demandant on nous emmenait. Nos chefs, Commandant de Cie en tête, n’étaient pas très loin de nous, et comme nous, ils étaient dans l’enfer. Lorsqu’on faisait quelques pas dans le noir, si on entendait le bruit des obus approcher, vite on se couchait visage contre terre sur les bas côtés du chemin. On aurait dit que les tirs d’artillerie étaient de plus en plus nombreux au fur et à mesure que l’on avançait. Certains obus éclataient pas bien loin et on entendait les débris retomber sur nous, certains soldats se plaignaient d’avoir été touchés. On n’avançait que très lentement et nous nous arrêtions souvent : cela permettait à certains de sommeiller un peu. Dans la nuit noire, des consignes avaient été données de ne pas allumer d’allumettes et de parler le plus bas possible pour ne pas nous faire repérer. Au loin, nous entendions une cloche sonner les douze coups de minuit. Nous n’avions aucune idée de l’endroit où nous nous trouvions. Combien de temps se passa ainsi ? Je ne peux le dire. Mais heureusement, les tirs d’obus devinrent moins nombreux. On put avancer plus sûrement, mais la troupe était fatiguée après une telle nuit. Après un temps plus moins long, on nous fit arrêter. L’artillerie ne tirait plus que très sporadiquement. Le lieutenant vint nous rassembler et nous emmena dans un pâturage au bord d’une route. Il nous donna des emplacements à occuper, à aménager et avec un objectif bien déterminé à surveiller. Je fis le tour du groupe : il y avait encore une unité en moins. Le lieutenant retourna au PC. Parmi nous, exténués, plusieurs soldats dormaient pendant que les autres commençaient à faire des trous avec les pelles d’infanterie dont on disposait.
Le jour commençait à se lever. Nous vîmes alors le lieutenant se diriger vers nous pour nous annoncer que six corps gisaient inanimés au beau milieu de la route. Il croyait bien que parmi eux, il y avait son ordonnance. Nous allâmes sur place. Le spectacle était abominable. Les six corps étaient étendus au milieu du chemin, les vêtements déchirés, mutilés dans leur chair, une chose inoubliable !! Tous les six avaient été tués sur le coup. Un obus s’était écrasé au milieu de la chaussée en pavés. Les malheureux avaient eu la malchance de passer par au moment précis de la chute du projectile. Et dire que c’était certainement un des derniers obus qui fut tiré ce 28 mai 1940 ! Nous apprîmes que nous nous trouvions à Ruiselede . Des tranchées avaient été creusées au bord de la route. Nous enveloppâmes les corps séparément dans une couverture et nous les enterrâmes. Nous plaçâmes à chacun un croix fabriquée avec des planches et y écrivîmes les noms de nos six malheureux compagnons. Nous étions huit pour faire cette macabre besogne. Il nous fallut presque deux heures pour avoir terminé. Le lieutenant nous pressait parce que nous devions rejoindre ce qui restait de la Cie et pourtant on avait les bras et les jambes coupés après ce travail si pénible. Comme en 1914, le 2ème Chasseur à Pied avait encore payé un lourd tribu à la guerre. Nous apprîmes alors que l’armée belge avait capitulé à 4 heures du matin et que les armes s’étaient tues sur tout le territoire et tout cela sans conditions. Plusieurs Compagnies avaient été faites prisonnières entre Vilvorde et Alost. Nous appréhendions ce qui allait se passer pour nous. Nous avions repris notre marche à l’aventure en commentant la fin possible des six braves que nous avions enterrés et en essayant, lorsque nous pouvions, d’approcher de nos chefs, de savoir l’on nous conduisait. Hélas, leurs réponses étaient toujours aussi évasives. Nous avions marché au moins deux heures quand on nous fit arrêter un long moment. Nous commencions à avoir faim et les vivres que nous pouvions encore avoir en réserve diminuaient. A un moment, on nous apprit que nous allions nous mettre en route et que nous allions défiler devant les soldats allemands et que nous devrions faire ce qu’ils nous demanderaient. Effectivement, nous avions marché deux à trois cents mètres lorsque nous rencontrâmes une colonne motorisée allemande (quelques motos mais surtout des side-cars). Les soldats nous enjoignirent de nous défaire de nos fusils, de nos cartouches et de les jeter sur un tas au bord de la route. Nous commençâmes alors à défiler, pas fiers du tout, à la file indienne devant eux. Nous étions examinés chacun des pieds jusqu’à la tête pour qu’ils puissent se rendre compte si nous étions réellement inoffensifs. Lorsque nous fûmes entièrement désarmés et que nous allions de l’avant, je crus entendre des applaudissements dans les rangs ennemis. Ces soldats savouraient probablement leur joie et leur supériorité. Nous nous dirigions la tête basse vers une agglomération nous nous arrêtâmes. Nous apprîmes que nous étions à Aalter . Les instructions étaient d’occuper les locaux vides. On nous amena de la paille et nous pûmes nous reposer. Nous ne pouvions en aucun cas nous éloigner de ce cantonnement nous passâmes la nuit. Nous y sommes restés 5 ou 6 jours. Nous étions tranquilles. Le ravitaillement suivait vaille que vaille. Les allemands ne nous importunaient pas. On ne les voyait d’ailleurs pas. Le 3 ou le 4 juin, je ne me souviens plus, nous quittions Aalter pour prendre la direction de Gand. Des sentinelles allemandes étaient placées au bord de la route tous les 100 mètres. En chemin, nous passâmes devant des casernes, des écoles, …remplies de prisonniers belges. Mais en réfléchissant à la route que nous empruntions, nous avions l’impression qu’on nous emmenait en Allemagne ! Enfin, dans les environs de Wetteren , on nous fit arrêter. Nous occupions des étables, nous restâmes là- bas. Nous ne pouvions pas quitter les environs. Le 7 juin, on nous annonça que nous allions retourner à Charleroi. On fera le trajet en 4 étapes. Le 9 juin, nous étions à Enghien lorsque le lieutenant nous délivra nos papiers (laissez-passer rédigé en Allemand émanant de la Kommandantur de Wetteren nous enjoignant de retourner à notre domicile et de retrouver un travail le plus tôt possible). A Enghien, nous avons pris un train jusqu’à Bruxelles. Là, nous avons sauté dans un camion qui allait charger du charbon en région liégeoise et, arrivés à hauteur de Waremme , nous avons abandonné, en remerciant le chauffeur, ce camion. Nous nous sommes dirigés vers Momalle avec l’espoir d’y prendre un tram vers Statte . Nous y avons rencontré un ancien du 2ème Chasseur passé pendant la mobilisation au 5ème Chasseur à Pied. Il était rentré chez lui depuis plusieurs jours comme d’autres (de Chapon Seraing) d’ailleurs. Il me rassura, aussi, en me disant qu’à Antheit, mon village, il n’y avait pas beaucoup de dégâts. Le tram arriva enfin ! Que ce trajet me sembla long ! Je descendis enfin à Petite Wanze (hameau d’Antheit) Un voisin qui se trouvait sur le tram prévint mes parents que j’allais rentrer. Ce fut la joie des retrouvailles, eux qui n’avaient plus eu aucune nouvelle de moi ! Nous étions le 10 juin 1940 vers six heures du soir. Alors, commença pour nous, la vie sous l’occupation.
Ma campagne des 18 jours
Le jour commençait à se lever. Nous vîmes alors le lieutenant se diriger vers nous pour nous annoncer que six corps gisaient inanimés au beau milieu de la route. Il croyait bien que parmi eux, il y avait son ordonnance. Nous allâmes sur place. Le spectacle était abominable. Les six corps étaient étendus au milieu du chemin, les vêtements déchirés, mutilés dans leur chair, une chose inoubliable !! Tous les six avaient été tués sur le coup. Un obus s’était écrasé au milieu de la chaussée en pavés. Les malheureux avaient eu la malchance de passer par au moment précis de la chute du projectile. Et dire que c’était certainement un des derniers obus qui fut tiré ce 28 mai 1940 ! Nous apprîmes que nous nous trouvions à Ruiselede . Des tranchées avaient été creusées au bord de la route. Nous enveloppâmes les corps séparément dans une couverture et nous les enterrâmes. Nous plaçâmes à chacun un croix fabriquée avec des planches et y écrivîmes les noms de nos six malheureux compagnons. Nous étions huit pour faire cette macabre besogne. Il nous fallut presque deux heures pour avoir terminé. Le lieutenant nous pressait parce que nous devions rejoindre ce qui restait de la Cie et pourtant on avait les bras et les jambes coupés après ce travail si pénible. Comme en 1914, le 2ème Chasseur à Pied avait encore payé un lourd tribu à la guerre. Nous apprîmes alors que l’armée belge avait capitulé à 4 heures du matin et que les armes s’étaient tues sur tout le territoire et tout cela sans conditions. Plusieurs Compagnies avaient été faites prisonnières entre Vilvorde et Alost. Nous appréhendions ce qui allait se passer pour nous. Nous avions repris notre marche à l’aventure en commentant la fin possible des six braves que nous avions enterrés et en essayant, lorsque nous pouvions, d’approcher de nos chefs, de savoir l’on nous conduisait. Hélas, leurs réponses étaient toujours aussi évasives. Nous avions marché au moins deux heures quand on nous fit arrêter un long moment. Nous commencions à avoir faim et les vivres que nous pouvions encore avoir en réserve diminuaient. A un moment, on nous apprit que nous allions nous mettre en route et que nous allions défiler devant les soldats allemands et que nous devrions faire ce qu’ils nous demanderaient. Effectivement, nous avions marché deux à trois cents mètres lorsque nous rencontrâmes une colonne motorisée allemande (quelques motos mais surtout des side-cars). Les soldats nous enjoignirent de nous défaire de nos fusils, de nos cartouches et de les jeter sur un tas au bord de la route.
CHEZ JEAN-LUC
CHEZ JEAN-LUC
© JLMaillard ( 2020 )